15/10/2024

Le Regard

De l’information fouillée et vérifiée

RDC: le secteur culturel et artistique aux abois, le journaliste Patrick Nzazi interpelle l’État congolais

À travers une tribune de fond bien calibrée, rédigée minutieusement, le journaliste culturel congolais, Critique d’art et Chercheur en développement culturel, Patrick Nzazi, dresse un tableau très sombre de la situation que traverse le secteur culturel et artistique en République démocratique du Congo. Cet ancien journaliste du Trihebdomadaire kinois, africaNews estime que malgré “la prise en charge utopique aux urgences étatiques”, l’avenir de ce secteur noble reste loin d’être radieux dans le pays de la rumba. “Les artistes et autres opérateurs culturels sont obligés de trouver d’autres astuces pour résister et continuer à exercer leur travail. Ici, l’expression parcours du combattant trouve mieux son sens”, s’indigne-t-il. Selon lui, l’État RD-congolais “censé prendre en charge ce secteur n’a malheureusement le regard qu’ailleurs, quand il ne tient pas des discours séduisants qui, du reste, demeurent dans des documents bien rangés dans les tiroirs des cabinets, bureaux, etc. Des promesses à dormir debout. En réalité, s’il faut dire les choses en toute franchise, les artistes sont abandonnés à leur triste sort”. Bonne lecture :

Tribune

Secteur de la culture en RD-Congo : pronostic réservé ! 

Les signaux de la situation que traverse le secteur culturel et artistique RD-congolais sont au rouge. Et ils sont loin, alors très loin, de passer au vert. Malgré les immenses potentialités culturelles et artistiques du pays, rien ne rassure un avenir brillant, ce, non pas en termes des talents, mais plutôt d’un accompagnement structurel et politique. Le secteur traverse des moments pénibles nonobstant sa prise en charge utopique aux urgences étatiques.

En effet, depuis des années, plusieurs maux rongent le secteur culturel et artistique en RD-Congo. Il s’agit notamment de l’absence d’accompagnement étatique, de l’absence de soutien à la création et à la production, des contraintes liées à la diffusion faute des lieux appropriés… du manque de soutien à la mobilité artistique. Bref, les artistes et autres opérateurs culturels sont obligés de trouver d’autres astuces pour résister et continuer à exercer leur travail. Ici, l’expression parcours du combattant trouve mieux son sens.   

Très souvent et généralement, ces dignes filles et fils tendent leurs mains aux établissements de coopération culturelle internationale, notamment l’Institut français, la Délégation Wallonie-Bruxelles, Goethe institut ou Pôle EUNIC. Ce qui n’est pas un péché. «Ces structures jouent également leur rôle ou exécutent en partie leurs missions face à l’abandon de l’État vis-à-vis de ce secteur», disent beaucoup d’acteurs culturels qui tiennent bon malgré tous les obstacles.

L’État RD-congolais censé prendre en charge ce secteur n’a malheureusement le regard qu’ailleurs quand il ne tient pas des discours séduisants qui, du reste, demeurent dans des documents bien rangés dans les tiroirs des cabinets, bureaux, etc. Des promesses à dormir debout !

En réalité, s’il faut dire les choses en toute franchise, les artistes sont abandonnés à leur triste sort.

La situation de ce secteur, tous nous la savons, (du moins ceux qui ont un regard attentif du paysage artistique RD-congolais), est alarmante, voire inquiétante.    

S’il faut utiliser un langage imagé, le secteur culturel RD-Congolais reflète l’image d’une formation hospitalière de plusieurs pavillons, dont le médecin et l’ensemble du personnel préférèrent s’endormir dans les délices de Capoue plutôt que de faire  le tour de toutes les salles pour s’enquérir de la situation des patients, conscients  de leur incapacités à administrer des traitements idoines. Triste. Hélas!

Comme dans ses habitudes depuis des lustres, l’État RD-congolais sélectionne ses priorités, ses urgences… et aucune attention particulière n’est accordée à la culture. Un semblant de regard, oui.

La situation sécuritaire à l’Est du pays, la gestion et des ressources minières et naturelles, les crises politiques continuelles, les élections à venir… que sais-je encore.

Il s’agit, on n’en disconvient pas, des questions non négligeables pour la bonne marche, l’organisation ou le développement du pays.

Néanmoins, le secteur culturel peut, à sa manière, jouer sa partition. La culture joue un rôle important dans le développement d’un pays. Son apport dans l’économie reste très significatif. A            une condition : bien encadrer et bien organiser le secteur. 

La culture étant un des besoins fondamentaux, elle mérite un encadrement et une valorisation non seulement de la part des pratiquants mais aussi de la part de ceux censés la protéger et la promouvoir. Il s’agit donc du pouvoir public. Ce, en mettant en place des mécanismes appropriés et mieux adaptés pour cette fin.

Le secteur culturel et artistique a fortement besoin d’un bon leadership en RD-Congo. Qui alors apportera de l’oxygène à cette branche qui en a fortement besoin car étant à bout de souffle? La question reste posée.

Il convient de rappeler que l’agenda 2030 pour le développement durable, adopté par les Nations Unies en septembre 2015, souligne clairement l’importance de la culture et de la créativité comme étant des leviers essentiels pour le développement urbain durable. Nous avons l’impression que cet aspect de chose est loin d’être bien appréhendé en RD-Congo.

Des incertitudes persistent 

Le projet de loi de finances 2022, déposé à l’Assemblée nationale pour examen, tel que présenté aussi par le média en ligne www.eventsrdc.com, nous donne un bon aperçu de la place qu’occupe la culture dans le programme du gouvernement.  49.346.342.614 FC, converti en 24 673 171, 306 dollars américains. Un budget bien loin de la vision de l’actuel gouvernement. L’on se rappellera le programme présenté à la Chambre basse du Parlement, un certain 26 avril 2021, par le Premier ministre Jean Michel Sama Lukonde Kyenge. Dans son volet culture, le gouvernement avait affiché des grandes ambitions. Avec des moyens qu’il propose dans son budget pour l’exercice 2022, on se demande si réellement il tient toujours à sa vision.

« Le gouvernement RD-congolais veut revitaliser le secteur culturel du pays en vue d’en faire une véritable industrie, en soutien à l’économie, pour l’épanouissement social de l’artiste et le développement intégral du pays ». Ces propos sont du PM Sama Lukonde. Avec un tel budget, l’on peut bien s’interroger comment développer cette industrie culturelle à laquelle aspire le gouvernement. Il faudrait attendre beaucoup de temps pour en arriver là. Les artistes et opérateurs du secteur ont besoin de palper cet épanouissement professionnel et social, comme toute personne malade gardant toujours l’espoir de se rétablir. Toutefois, des incertitudes persistent.

Les promesses sur le redressement du secteur culturel sont alors légions. A titre d’exemple, plus loin, le gouvernement a également annoncé dans son programme, la mise en place de six extensions de l’industrie musicale, théâtrale et cinématographique. A cet effet, le gouvernement envisage acquérir des espaces et y ériger des bâtiments. A cela, il faut aussi ajouter l’installation d’une grande maison de production musicale, théâtrale et cinématographique en partenariat avec le secteur privé.

Plusieurs mois après, où en sommes-nous ? La réalité sur terrain renseigne bien que le secteur culturel est loin de voir le bout du tunnel. « Une vision sans action n’est qu’une hallucination », pour paraphraser une citation de l’auteur américain Michael Kami.

Chacun ses urgences…

Il existe en RD-Congo le Fonds de promotion culturelle -FPC. Créé par Ordonnance-Loi 87-013 du 3 avril 1987 avec pour objectifs, entre autres, d’octroyer aux artistes, écrivains et hommes de culture méritants des subventions de création pour leur permettre d’achever des travaux ponctuels; favoriser l’éclosion de l’édition littéraire, de l’industrie cinématographique, des arts plastiques et scéniques…de l’industrie musicale par le financement des projets spécifiques; contribuer à l’autofinancement des activités culturelles pour la rentabilisation des recettes qui s’y prêtent et orienter ces efforts vers le développement national; permettre une meilleure collecte et la restauration d’œuvres d’art traditionnel; assurer une diffusion adéquate et une représentation efficiente de la production de la production littéraire et artistique nationale.

En observant le paysage culturel et artistique RD-congolais, l’on se demande si réellement le FPC tient toujours compte de ses objectifs. Et s’il est fier de sa mission. Déjà, le Premier ministre Sama Lukonde avait déclaré, lors de l’investiture de son équipe à l’Assemblée nationale, qu’il veillera scrupuleusement à ce que le Fonds de Promotion Culturelle assume ses missions légales aux fins de l’accomplissement de toutes les actions à caractère culturel. Cela sous-entend qu’il constaterait des failles dans l’exécution des missions de ce service du ministère de la Culture, arts et patrimoine. « Aux grands maux, des grands remèdes », dit-on. La communauté artistique et culturelle RD-congolaise attend du concret. Rien d’autres.   

D’ailleurs, le FPC n’est pas le seul service dont la mission est de donner vie au secteur culturel et artistique. Il y a également deux autres services méconnus du public. Il s’agit de Fonds d’assistance aux artistes et écrivains congolais et du Fonds soutien à la création artistique -FOSCA-… Quels sont ces artistes ou projets qui ont bénéficié du soutien ou de l’assistance de ces Fonds ? A quoi servent alors les moyens mis à la disposition des services tel que constaté dans la loi de finances, secteur de Culture et arts ? A qui profitent-ils ? L’on se demande si ces dotations ne servent qu’au fonctionnement de ces structures.

Bref, il est alors très urgent de doter le pays d’une loi sur la politique culturelle et surtout de son effectivité. Car on ne doit pas continuer à faire la sourde oreille face à la souffrance d’application de beaucoup de textes. C’est bien d’avoir une loi, mais c’est mieux de constater son application.

Les artistes et opérateurs culturels RD-congolais attendent impatiemment une politique culturelle actuellement inexistante au pays. Ces acteurs continuent de souffrir d’absence des textes garantissant et organisant leur domaine. Pourtant, cette loi traduit les actions gouvernementales orientées vers un enjeu culturel. Dès lors que le pays aura cet instrument qui est en fait une base légale, c’est à ce moment que la culture prendra une part entière et active dans l’action gouvernementale.

Pour l’heure, le pronostic de ce secteur est tellement réservé. L’État est appelé à organiser la vie. Celle-ci n’est pas seulement la politique. Il s’agit de l’ensemble de secteurs touchant la vie de la population. Et la culture en fait partie.

Patrick NZAZI/Journaliste culturel, critique d’art et chercheur en développement culturel