J’ai eu le regrettable privilège d’être spectateur d’une bataille rangée entre groupes de Kulunas. Cela m’a permis de réaliser l’énorme fossé qu’il y a entre mes propres appréhensions et la vérité. Le récit que je m’en vais vous faire vous permettra de découvrir un enfant certainement devenu criminel par la force des choses, pour qui la vie se résume désormais à un combat à mort, un jeu dans lequel il excelle.
C’était le dimanche 23 octobre, une de ces soirées normales dans la 16ème rue, entre les avenues Mompono et Yakata au quartier Kimbangu, commune de Kalamu. La chaleur qui règne sur Kinshasa avait renvoyé les jeunes gens au coin de la rue. Ça discutait Champion’s League, concert de Fally Ipupa au stade des Martyrs, de Celeo Scram à l’YMCA,… le temps de tuer le temps avant d’aller dans les bras d’Orphée. Tout était calme.
Soudain, deux garçons d’environ 15 ans sortis de nulle part, déposent, l’air de rien, un sac de riz de 25 Kg rempli des bouteilles vides. La débandade. En un clin d’œil, shops, Malewa, boutique,… sont fermés… puis silence de mort…
Comme sortis des profondeurs abyssales dans cette ruelle peu éclairée, une vingtaine des jeunes gens remontent l’avenue de chaque côté, armes blanches à la main. Qui une Tramotina, qui une barre de fer, qui des bouteilles de beaufort, qui une planche en bois, qui des pierres…
A droite, en première ligne, haut comme trois pommes, machette à la main, le regard dopé d’une rage foudroyante, on l’appelle «PETIT CHINOIS», 10-11 ans à tout casser. De cette bataille qui s’engage, il est le héros des gladiateurs des ruelles pommées. Trop jeune pour connaitre la peur, juste à point pour aiguiser l’instinct de tueur, le petit nabot, à lui seul, fait trembler les lignes ennemies.
Il esquive machinalement les jets de pierre, bondit comme un félin, croise le fer avec un Kuluna une tête plus grand que lui, le déchire à la cuisse, puis pousse un rugissement tel un lion.
Il nous tiendra, nous, malheureux spectateurs de ce drame sociétal, en haleine pendant plus de 40 minutes, sans être interrompu par une quelconque descente de la Police nationale congolaise, éternelle absente.
Après le calme revient. Les habitants qui ont tout suivi depuis leurs maisons ressortent dans la rue. Le PETIT CHINOIS, ce malingre d’hercule, cette âme malicieusement joyeuse, ce psychopathe a disparu comme un spectre.
Victime de la faillite de l’Etat et de la destruction de la famille!
L’instinct criminel du PETIT CHINOIS est une graine appelée à croitre. Cet oisillon du crime a pris le chemin sans retour qui le conduit sur les hautes montages du mal, il est un oiseau rapace en devenir, un aigle, un malheur des rues.
Les conditions sociales et son environnement sont propices à ce que cela arrive bien et vite. La Sous-pauvreté dans laquelle se trouve le pays, la démission de l’Etat, la mort de la famille causées par ce dénuement continuellement exacerbé, l’absence de l’autorité de l’Etat,… créent un délaissement dans lequel son instinct animal s’éveille, à chaque raide, il gagne davantage en force.
Sa condition est en tout point, pareille à celle d’un enfant soldat. Il ne tue pas seulement pour vivre, il tue pour se sentir vivant. Le crime en devient une drogue, pire une adduction.
Devrait-on ainsi en conclure que ces enfants sont maudits et par conséquent condamnés à vivre leur enfer dans ce monde et celui d’après? On aura beau trouver des explications pour les blâmer, la Police aura beau faire des bouclages pour interpeller des jeunes ayant des profils semblables à ces Kulunas, dans certains cas pour besoin d’empocher des amendes, cela n’effacerait pas notre culpabilité.
Car la vie nous rappelle ceci: «L’homme nait bon, la société le corrompt».
Loin de trouver une excuse au crime, je pense qu’il nous faut regarder la vérité en face. Ces enfants criminels sont surtout victimes de cette société qui, en amont, les a livrés à eux-mêmes pour des raisons susmentionnées. Et la même société les encourage dans le mal, notamment par l’absence de l’autorité de l’Etat en pleine capitale et les laisse faire que cela induit.
La Police censée assurer la sécurité des personnes et de leurs biens est impuissante car ses agents sous-équipés, sous-payés et démotivés. Comme le reste des Congolais, les policiers dont la pauvreté n’est pas à décrire sont eux-mêmes confrontés à la démission de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs rejetons.
Ces derniers, pour certains, ou pour la plupart, se retrouvent d’ailleurs embarqués dans des bandes de Kulunas pour les garçons et sur le trottoir pour les filles. Et pendant ce temps, bienveillants, nos députés nationaux se plaignent de ne pas gagner assez.
La rondelette enveloppe qui attendrait USD 21. 000 ne suffirait pas à leurs charges. Rappelons-nous qu’ils doivent venir en aide à la population, ces gueux maintenus avec grand amour dans la pauvreté. A côté des députés, les cadres des autres institutions du pays jouissent également sans culpabilité aucune de la manne du Trésor public.
Dans ces conditions, le Kuluna a des beaux jours à Kinshasa. Ces jeunes criminels de 10,17 ans grandissent, leurs besoins aussi. Avec le temps, si l’on y prend garde, ils seraient pires et plus nombreux que les DJANGO et les ASUMBA NA NGANDA d’antan.
Il faut à tout prix agir. Les enfants kulunas comme PETIT CHINOIS pris dans la spirale de la violence, devraient bénéficier des programmes qui les récupèrent et les introduisent dans la société. Ils doivent avoir une deuxième chance. Il en va non seulement de la sécurité de Kinshasa, mais aussi de l’avenir du pays.
René Kanzuku
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