En terres RD-congolaises, l’alternance politique au sommet de l’Etat entre le fils du révolutionnaire LD Kabila et celui de l’opposant historique Étienne Tshisekedi avait amené un vent d’espoir qui a vite tourné. Il aura suffi de moins de deux ans pour constater les limites du nouveau contexte, où l’on a d’un côté, Félix Tshisekedi, Président de la République, et de l’autre côté, Joseph Kabila, autorité morale d’une majorité écrasante contrôlant le Parlement, les assemblées provinciales et logiquement la majorité des provinces. Bien que le Président de la République a, entre autres, attributions de veiller au respect de la Constitution, cette dernière semble de plus en plus être la plus grosse épine dans son pied parce qu’elle lui confère, dans ce cas précis, moins de pouvoir que son prédécesseur Joseph Kabila, encore moins que ses partisans semblent le vouloir. Pas curieux de constater que dans les débats, ces derniers citent de moins en moins la Constitution, et que le Président évoque davantage la formule : le « Salut du peuple (dont la définition est propre à lui-même) est loi suprême ».
Alliance et non coalition ? Voilà que dès l’aurore de son pouvoir, Tshisekedi, à la tête du Cap pour le changement -CACH- décide de faire alliance avec le Front commun pour le Congo -FCC- de Kabila, auquel il était farouchement opposé, hier. Dans le microcosme politique, la première confusion prend vite place. Inspirés par l’expérience française, les analystes parlent d’une coalition ou d’une cohabitation. Mais en lisant l’article 78 de la constitution, il s’avère qu’on n’est pas vraiment d’une coalition. Tenez: «Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement», stipule le 1er alinéa. Prêtons cependant plus d’attention au 2ème alinéa : «Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition ». Or, au sortir des élections de décembre 2018, la majorité du FCC était indiscutable. Par conséquent, il n’y a pas eu besoin d’informateur pour identifier une quelconque «coalition». Si l’on parle aujourd’hui de renverser la majorité FCC, c’est qu’elle existe belle et bien. Elle est constitutionnellement inébranlable. Comment renverser la majorité du FCC? Se référant à l’article 101 de la Constitution, en son alinéa 2, on sait que les candidats aux élections législatives sont présentés par des partis politiques ou par des regroupements politiques. Ce, exception faite de ceux qui se présentent en indépendants. A quoi servirait de débaucher un député après l’autre? Visiblement à pas grand-chose. Considérons le paragraphe 5 de la constitution intitulé «de la fin et de la suspension du mandat de député national et de sénateur», particulièrement l’article 110, en son dernier alinéa: «Le député national, le sénateur ou son suppléant qui quitte délibérément son parti politique durant la législature est réputé avoir renoncé à son mandat parlementaire ou à la suppléance obtenus dans le cadre dudit parti». L’on peut déduire que le débauchage tant chanté risque de conduire à l’enrôlement dans les rangs de l’Union sacrée des personnalités déplumées de leur qualité d’élus du peuple. A moins qu’on ne trouve d’autres subterfuges, à défaut de violer délibérément la Constitution, la Cour constitutionnelle pouvant servir d’assurance comme certains le croient. La Constitution verrouille également la possibilité de dissolution de la chambre basse. L’article 148 l’évoque à la condition d’une crise persistante entre le gouvernement et l’Assemblée nationale. «…le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale». Les pouvoirs constitutionnels du Président Le Président de la République se trouvent donc quelque peu limités. En effet, comme le fait remarquer un analyste, «notre pays est dans un régime parlementaire un peu sui generis dans ce sens qu’on reconnaît au Président de la République quelques autres pouvoirs». Comme dans tout régime parlementaire, le gouvernement est l’émanation du parlement (cfr l’art.78 de la constitution). Une crise entre les deux institutions est donc difficile. Dans ce contexte, l’article 69 de la constitution fixe assez clairement les attributions du Président: «Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il représente la Nation et il est symbole de l’unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux». A ceci, s’ajoute l’article 78 susmentionné et l’article 79 qui dispose : «Le Président de la République convoque et préside le Conseil des ministres. En cas d’empêchement, il délègue ce pouvoir au Premier ministre. Le Président de la République promulgue les lois dans les conditions prévues par la présente Constitution. Il statue par voie d’ordonnance. Les ordonnances du Président de la République autres que celles prévues aux articles 78 alinéa premier, 80, 84 et 143 sont contresignées par le Premier ministre». Aussi, le Président de la République nomme et révoque les ambassadeurs, officiers généraux et supérieurs de l’armée, les hauts fonctionnaires de l’administration, les mandataires des entreprises publiques, les magistrats,… sur proposition du gouvernement délibérée en Conseil des ministres. La Constitution insiste cependant sur le fait que les ordonnances sont contresignées par le Premier ministre. Pourquoi? Le gouvernement assume la responsabilité de la politique de la nation La Constitution dispose que le Premier ministre dirige le gouvernement dont la composition tient compte de la représentativité nationale (art. 90). En son article 91, la Constitution dit que «le gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République, la politique de la nation et en assume la responsabilité. Le gouvernement conduit la politique de la nation». Et de souligner en son alinéa 3 «La défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le gouvernement. Le gouvernement dispose de l’administration publique, des forces armées, de la police nationale et des services de sécurité». Puis: « le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues aux articles 90, 100, 146 et 147». Toutes ces dispositions constitutionnelles donnent à comprendre qu’à la fin de cette mandature, en 2023, le gouvernement devra donc présenter un bilan et non le Président de la République puisqu’il n’assume, en principe, aucune responsabilité de la conduite de la politique nationale devant le peuple. Pourtant, il se note une confusion dans la conception du pouvoir qu’a le Président Félix Tshisekedi en comparaison avec celui de son prédécesseur. Le Président Tshisekedi n’a pas les mêmes moyens institutionnels, constitutionnels et politiques qu’avait Kabila, du fait qu’il n’a pas une majorité parlementaire. Ce qui lui donne une marge de manœuvre restreinte. Mais, étant dans un pays où le démon du régime présidentialisme incarné par feu Mobutu hante encore les esprits des leaders politiques et des citoyens lambda, l’on espère l’omnipotence du Président. On attend de lui plus qu’il ne peut faire en réalité. Tshisekedi mis face à l’histoire A quelques heures de son discours, à l’heure où les consultations présidentielles ont pris fin, Félix Tshisekedi est placé devant sa propre conscience pour prendre rendez-vous avec l’histoire. Sera-t-il l’homme par qui le pays sera embrasé ? Sera-t-il celui qui consolidera la démocratie naissante et les acquis de l’alternance? Sera-t-il le Président qui donnera raison à cet élan d’alternance pacifique en Afrique? Ou celui qui encouragera les Paul Biya à demeurer au pouvoir le plus longtemps possible? Il est venu le moment où le fils du Sphinx de Limete doit assumer son rôle devant l’histoire de la RD-Congo et de l’Afrique. Ce, parce qu’une grave crise au Congo affecterait forcément les pays voisins, autant que le décollage de la RD-Congo entraînera celui de l’Afrique. Félix Antoine Tshisekedi doit aussi assumer son patronyme.
Matshi Darnell
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