TRIBUNE
«L’Afrique a besoin d’un nouveau type de citoyens, dévoué, modeste, honnête et bien informé, qui renonce à lui-même pour servir la nation…», Kwame Nkrumah
Au pays de Patrice Emery Lumumba, point n’est besoin d’un don particulier pour se rendre compte d’une vérité évidente que nous RD-Congolais, notre élite (intellectuelle et religieuse) en tête, n’assumons pas: «Nous avons une dangereuse propension à créer des dictateurs». En effet, ce que l’on désigne comme élite a, d’une façon ou d’une autre, contribué au développement et à l’enracinement d’une culture politique (et électorale) fondée sur les émotions et les intérêts minimalistes, plutôt que sur la raison qui privilégie l’intérêt général. Ici, Emotions et intérêts minimalistes sont entendus dans un sens large qui prend en compte, d’un côté, le sentiment d’affection dû à des affinités familiales, tribales, ethniques, linguistiques, ou à une simple proximité géographique; et de l’autre, l’espoir ou la peur de gagner ou perdre un marché, le besoin d’attirer l’attention ou la crainte de perdre les faveurs du Chef défendu… Ce qui traduit un besoin existentiel de garantir sa connexion au Trésor public, devenu une mangeoire; mais aussi, un sentiment de colère qui peut aller jusqu’à l’aversion envers les personnes défendant des idées, des opinions, des jugements contrariant -ou contredisant carrément- ceux du Chef-sujet de notre affection ou gage de nos intérêts-;…
Des expressions telles que « Oyo tour na biso, il faut to profiter », « Il faut to défendre Mokonzi »,… ne sont pas l’apanage du seul citoyen lambda. Que l’on considère la première année de l’actuel Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, les 18 ans de son prédécesseur Joseph Kabila Kabange… ou les 32 ans de Mobutu Sese Seko, cette vérité reste -mutatis mutandis- la même. N’a-t-on pas vu et entendu, sur une vidéo qui a fait le tour de la toile, un éminent pasteur déclarer, en pleine prédication, qu’un vrai Muluba -tribu de l’actuel président- ne peut s’opposer à Félix Tshisekedi, ni critiquer ce dernier? N’avions-nous pas lu dans des journaux, ou suivi à la télé et à la radio, il y a quelques deux, trois ans, un ministre, de surcroît professeur de son statut, marteler à propos du président honoraire Joseph Kabila, alors à la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel: «Kabila nanu totondi yo te…»? N’a-t-on pas vu la même «personnalité», des mois après, changer de discours et faire du gringue à Tshisekedi?
On le sait malheureusement. Le Djalelo, instauré depuis Mobutu, est une honteuse tendance qui fait partie du folklore congolais. Chaque président en a droit avant même d’avoir le temps de le réclamer ou de le rejeter. Les flatteurs sont prompts. Ils ne rechignent pas à se tuer à la tâche, la récompense espérée -souvent reçue- étant alléchante.
Des intellectuels inutiles !
C’est clair! L’intérêt général n’est définitivement qu’un détail négligeable. Pour les intellectuels-courtisans, la priorité est de soutenir et défendre le «Chef», justifiant avec brio ses travers. A cette fin, la science est au service d’un besoin existentiel: assurer sa place à la mangeoire, garantie par la longévité du «Chef» au pouvoir. L’instinct animal a pris le dessus sur toute forme d’éthique intellectuelle. Forte d’un savoir encyclopédique -ou supposé-, cette race d’intellectuels use d’un discours sophistiqué, sinon sophiste, pour mystifier la plèbe, parant des plus beaux atours ses propos. Mais dans le fond, elle rivalise de passion avec l’homme de la rue, sa conscience d’homme de science étant mise en veille.
En parcourant un livre fort intéressant qui m’a été recommandé, j’ai découvert que le professeur Ignace Mvuezolo Mikembi Nkueti avait déjà, à sa manière, fait la même observation. Dans « Le mal-être en République démocratique du Congo » publié aux éditions L’Harmattan, en 2015, ce docteur en philosophie de l’Université catholique du Congo (UCC) utilise des mots sévères et justes pour définir cette race d’intellectuels. «L’intellectuel congolais actuel présente des traumatismes, des maladies infantiles et des impuissances qui le bloquent dans son rôle premier de conscience critique de la société», affirme-t-il. Et d’ajouter plus loin: « En fait, rongé par le virus de la politique, enfermé dans le labyrinthe de cette politique politicienne, l’intellectuel congolais actuel, désabusé, est incapable de proposer au peuple, de manière désintéressée et lucide, des voies viables de sortie de l’abîme où il a lui-même plongé le pays…»
Il situe l’origine de cette dérive de l’intellectuel congolais dans « la pratique politique qui a accumulé, sous la 2ème république, des maladresses qui ont conduit à un génocide et à un holocauste intellectuels». A l’en croire, l’enseignement supérieur et universitaire étant perçu comme obstacle majeur à l’implantation de la dictature, le pouvoir de Mobutu avait entrepris des actions systématiques de sa déstabilisation et de sa désorganisation. Au finish, l’intellectuel a été clochardisé.
Cependant, voici 23 ans depuis la chute, le 17 mai 1997, du régime Mobutu, l’intellectuel n’est toujours pas sorti du gouffre. Il semble s’y plaire, s’y complaire. Sinon, comment expliquer qu’après tout ce temps, il n’arrive pas à mener une lutte acharnée pour son émancipation des entraves des systèmes politiques qui se succèdent? Ne trouverait-t-il pas au statu quo un avantage pour son aisance matérielle? Pourtant, on le sait, remettre en question la société, identifier les malaises de son temps et ses dysfonctionnements, et en proposer des solutions idoines font partie de son ADN. Mais l’intellectuel congolais fait preuve d’une incapacité qui, déduirait-on, serait endémique en RDC, si pas héréditaire, transmise, de génération en génération, entre professeur émérite et l’ancien assistant!
Le cas de la crise sanitaire due à la covid-19
Tenez. A peine la RDC espérait la fin de l’épidémie à virus Ebola, le 10 mars 2020, le pays a officiellement diagnostiqué son premier cas de contamination au coronavirus, déclaré pandémie mondiale par l’OMS. Depuis, les cas de contamination se multiplient par dizaines. Pourtant, l’l’intellectuel congolais, en général, brille par une absence ressentie dans la proposition des solutions. Il se montre inutile ! Exception, bien évidemment, faite de ces scientifiques congolais qui se distinguent dans la recherche médicale, le reste de professeurs d’universités ne seraient, je le crains, que de simples observateurs!
Sauf ignorance de ma part, à ce jour, les chercheurs de l’Institut Facultaire des Sciences de l’Information et de la Communication (IFASIC) et d’autres établissements des sciences d’information et de la communication n’ont encore publié aucune étude qui propose des solutions adaptées aux besoins de lutte contre le coronavirus dans ses aspects communicationnels. Pourtant, le besoin y est. Nous le constatons. Il y a eu -et cela persiste- un déficit communicationnel criant dans la gestion de la pandémie par le gouvernement congolais. Dès le début de la crise, cela pose problème. Voici quelques exemples:
Le gouvernement a eu du mal à convaincre les citoyens de la présence du coronavirus en RDC. Même à ce jour, la majorité de la population ne croit toujours pas à l’existence de la covid-19 à Kinshasa. Par conséquent, les consignes du gouvernement n’y sont presque pas respectées.
Le gouvernorat de la ville de Kinshasa a choisi de brandir la menace d’une amende de 5 000 Fc pour ceux qui ne porteraient pas les masques, plutôt que de convaincre, par une sensibilisation efficace, de la nécessite du port du masque pour notre propre sécurité et celle de nos proches. Or, les experts en communication disent que les mesures coercitives justifient un échec de communication. La preuve, comme la population, beaucoup de policiers et agents de la brigade de lutte contre la covid-19 qui arrêtent les récalcitrants, ne portent pas de masques et d’autres le mettent comme garniture au menton.
Nous sommes en plein Etat d’urgence. Mieux, comme l’a souligné le Chef de l’Etat, en guerre contre la Covid-19. Et en situation de guerre, le Commandant suprême doit donner l’impression d’être au front. Cependant, toutes les communications du président sont du style discours, faite derrière un bureau douillet, et pas sur terrain. Message: le Chef n’est pas au front comme ses homologues d’autres pays. Ce qui n’est pas bon pour l’image du garant de la nation. Même attitude pour le Premier ministre, lui aussi, censé être en première ligne de riposte sur terrain. L’heure n’est pas seulement au bureau climatisé.
Les autres facultés ne font pas mieux. Si des ingénieurs sénégalais ont proposé à leur équipe de la riposte contre la Covid-19 des respirateurs faits à partir des imprimantes 3D afin de pallier le manque de ces outils indispensables au traitement des patients gravement atteints par cette maladie, chez nous, les ingénieurs (Grands profs) de l’ Institut Supérieur des Techniques Appliquées (ISTA) semblent en hibernation.
Même constat pour toutes les facultés d’économie. Alors que des experts internationaux annoncent que l’économie africaine, extravertie, déjà vivotant, sera la plus atteinte par l’onde de choc du coronavirus, à cause, entre autres, de la baisse de exportations et celle du prix des matières premières, les experts congolais, eux, dorment sur leurs lauriers. Personne ne propose une étude sérieuse des différents scénarii économiques possibles et les voies de sortie pouvant limiter au mieux les dégâts de la crise économique et sociale. Pourtant, un groupe de travail de spécialistes en économie ne serait pas de trop.
Il y a quelques semaines, un groupe d’étude du Quai d’Orsay relevait le risque que l’onde de choc de la Covid-19 balaie des régimes politiques (particulièrement en Afrique centrale), étant donné que les peuples découvrent l’incapacité des dirigeants d’assurer leur bien-être, avec des systèmes de santé précaires. On ne sent pas, cependant, ne serait-ce qu’un début de réflexion ou un débat des politologues et autres experts en stratégie -s’il y en a-. Scientifiques et autres experts rivalisent de léthargie. On aurait dit qu’ils attendent que le gouvernement leur tende une perche.
Curieusement, beaucoup d’entre eux n’hésitent pas à se donner en spectacle dans les médias (Et sur le net), se crêpant les chignons dans d’interminables joutes orales partisanes. Avec des acteurs politiques généralement du même acabit, ils versent dans des débats passionnels sur la convocation du Congrès, le mariage FCC-CACH, le sort de Vital Kamerhe,… et maintenant l’affaire Thambwe Mwamba. Chacun défend son chef. Comme tout le monde, les intellectuels auront trouvé le moyen de tuer le temps, sans réellement se rendre utiles, en cette période de grave crise sanitaire.
Responsabilité de l’élite religieuse
Dans un pays comptant plus de 90% des croyants, l’élite religieuse a une influence indiscutable sur la population. La RDC a officiellement huit confessions religieuses: l’Eglise catholique, l’Eglise du Christ au Congo (ECC), l’Eglise kimbanguiste, l’Eglise orthodoxe, l’Armée du Salut, la Communauté islamique en RDC (COMICO), l’Eglise du réveil au Congo (ERC) et l’Union des églises indépendantes au Congo (UEIC). A côté des celles-ci, des nombreuses autres églises se réclamant chrétiennes ou traditionnelles.
Je préfère m’attarder sur des églises évangéliques qui fourmillent dans la ville de Kinshasa et à l’intérieur du pays. Ce, parce qu’à mon sens, elles gagnent de plus en plus de terrain, fortes d’un message et des pratiques plutôt attrayants. De toute évidence, la foi en Dieu offre un exutoire, mieux un abri à la masse populaire accablée depuis de longues années par une pauvreté persistante. L’expérience magnifique de la foi en Dieu réussit chaque jour à faire -re- naître l’espoir dans les cœurs de la majorité des Congolais. Peu importe les difficultés, les gens s’y accrochent, persuadés que Dieu changera le cours de leurs vies. Selon de nombreux témoignages, des miracles se réalisent. Ce qui est bien.
Grâce à cela, ces hommes, «porteurs du message divin», acquièrent depuis les années Mobutu un pouvoir de plus en plus grandissant, une notoriété incontestable. Ce qui implique, en principe, une responsabilité au-delà des limites de leurs «temples». Mais faute d’une réglementation rigoureuse, devient pasteur qui veut. On assiste chaque jour à l’éclosion des prophètes, évangélistes, apôtres, etc. à qui Dieu aurait donné la mission de conduire son peuple. Ils s’enrichissent généralement vite. Pour eux, pas besoin de maitriser la Bible, un mélange subtile de psychologie et de sociologie, saupoudré des choix vestimentaires frisant parfois l’extravagance ou le ridicule, présenté avec verve oratoire, suffit. Chômage, mariage, voyage en occident, stérilité, réussite scolaire et académique,… sont là les principaux thèmes exploités, qui trouvent leurs explications automatiquement dans la sorcellerie, occultisme, et donc, dans le diable et ses démons. Par conséquent, le fait de manquer du boulot, de ne pas pouvoir prendre sa vie en main après ses études, de ne pas se marier ou simplement avoir quelque chose à mettre sous la dent, a pour responsables le pauvre grand-père, l’oncle, la tante, le petit orphelin, ou la belle-mère… qui dans sa sorcellerie nous freineraient. Mais pas l’Etat. Grâce à cette forme d’évangile, dans l’esprit des milliers des fidèles, le gouvernement, bien que coupable, est dédouané de toutes ses responsabilités constitutionnelles. Tout se jouerait entre Dieu et Satan. Entre temps, l’homme -ou la femme- s’agenouille, joint ses mains, tourne les yeux vers le ciel et prie. L’offrande financière est de mise. La vie -du…- de l’église en dépend. Cela explique en partie pourquoi à Kinshasa, ville de près de 10 millions d’âmes, à majorité jeunes, croupissant dans la pauvreté, aucune marche de revendication ne mobilise au moins 5% de la population. Un certain évangile a, à dessein ou non, enseigné l’irresponsabilité et l’oisiveté aux citoyens. La foi finit dans ce cas par endormir le peuple. Formaté dans un moule qui l’empêche de faire comme les gilets jaunes en France, en revendiquant ses droits, Il subit stoïquement. Tout un conditionnement qui le prédispose à l’oppression! Un bel environnement pour toutes velléités dictatoriales.
Aussi, beaucoup de ces ministres de Dieu ont des liens avec les hommes du pouvoir. Ce qui à priori est normal. Car, les politiciens ont aussi une vie spirituelle. Mais quand un pasteur se sert de sa chair pour promouvoir ses convictions politiques, les justifiant parfois par des prédictions «bibliques», tout change. A Kinshasa, me souvient-il, on a vu des pasteurs utiliser leurs églises pour vanter les actions du Président Kabila, alors au pouvoir, certains n’hésitant pas à se réclamer de sa famille politique. Puis, juste après l’élection de Tshisekedi, tourner effrontément leur veste, dénigrant Kabila, et se faisant défenseurs du fils du Sphinx de Limete. Du déjà vu avec les hommes de science! Comme tout flatteur, ils vivent, eux aussi, au dépens de celui qui les écoutent.
Le fardeau du Chef
Il va sans dire que toutes les attentions sont maintenant dirigées vers Félix Tshisekedi, comme cela était le cas, hier, pour son prédécesseur. Ils ont aussi en commun le fait d’avoir des pères qui sont passés dans l’histoire ressente de la RDC comme de «Grands Hommes» qui se sont battus, chacun selon ses convictions et ses moyens, pour le pays et son peuple. Ils se sont taillés une place méritée au panthéon des grands combattants pour la liberté des peuples en Afrique aux côtés des Sankara, Lumumba, Mandela, etc.
Avec la première passation pacifique et démocratique du pouvoir, qui a porté Félix Tshisekedi à la tête de l’Etat, nous pouvons dire que Kabila, fils de Laurent Désiré, a fait sa part en donnant le go au processus démocratique depuis 2005 et les fruits sont palpables. Si le FCC ne gâche pas tout, l’histoire pourrait ne retenir que ces grandes lignes à propos de Kabila.
En ce qui concerne Félix, fils d’Etienne Tshisekedi, l’histoire l’attend. Certes, il occupe aujourd’hui les plus hautes fonctions au pays, mais de par sa naissance, l’actuel président a un défi beaucoup plus grand à relever pour honorer son patronyme. Il se doit de devenir, lui aussi, un Grand Homme. Cela ne vient pas par hérédité, encore moins par une élection. Seules ses actes, son engagement pour le peuple, son patriotisme, son esprit de sacrifice pour le bien collectif, et la main de Dieu, lui permettront d’y arriver. Rater son mandat à la tête de la RDC reviendrait à jeter de l’opprobre sur le nom et la mémoire de son illustre père. Il aura donc tout intérêt à résister à ces faiseurs des dictateurs qui ne tariront jamais de paroles mielleuses afin de profiter de lui, de dépouiller le pays, et ainsi de lui assurer aveuglement mais assurément un échec.
Hugo Robert MABIALA
Journaliste & Membre du groupe de réflexion «Conscience Africaine»
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