La vidéo a choqué. Elle a scandalisé parents, jeunes et vieux qui ont vu les images des élèves du Collège Saint Georges de Kintambo en plein ébats sexuels. L’émotion dissipée, «Le Regard» revient sur cette affaire de sextape des élèves, dont l’âge varie entre 15 et 17 ans, pour une analyse juridique pertinente. C’est le sens de l’interview réalisée avec Me Christian Matala-Tala, avocat au barreau de Lubumbashi. Interview.
D’un point de vue juridique, ces élèves méritent-ils d’être sanctionnés?
Une enquête doit être menée au préalable, pour établir les faits de fond en comble. Notamment, savoir dans quel contexte ces filles mineures se sont retrouvées dans cette maison inachevée. Etait-ce de leur propre gré ou de force? Avec quelle intention l’auteur de ces vidéos a-t-il filmé ces ébats sexuels? Qui a posté ces vidéos dans l’espace public? Etait-ce un piège? Il faut au préalable la commission d’un manquement (Ici, on ne parlera pas d’infraction mais plutôt de manquement en vertu de la loi portant protection de l’enfant du 10 Janvier 2009, pour les mineurs compris entre 14 et 17 ans. On les appelle autrement enfants en conflit avec la loi) selon qu’il s’agit d’un élève mineur derrière la caméra qui a tout filmé dans l’intention de nuire à ses condisciples ou bien d’un viol entre mineurs.
Aussi, pour parler de sanction sur le plan juridique, il faudrait avant tout établir une infraction. Et à ma connaissance, je ne pense pas qu’il existe à ce jour, dans l’arsenal des lois de la République Démocratique du Congo, une infraction spécifique à une quelconque forme de publication via les réseaux sociaux des images et vidéos pornographiques. Cependant, face à ce vide législatif, le comportement affiché par ces élèves, au regard du caractère offensant à la morale publique, peut s’identifier à l’infraction d’outrage public aux bonnes mœurs. Et pour que cette infraction soit établie, il y a deux éléments essentiels qui doivent être pris en compte que sont la publicité et l’intention coupable. Peut-on véritablement considérer que ces élèves, en uniforme qui, selon les informations que j’ai reçues, ont tout d’abord exhibé des danses obscènes pour par la suite se livrer à des ébats sexuels entre eux, ont commis ces actes dans le but d’offenser la morale publique, par la publicité de leurs actes ? Je pense que non !
Dans l’hypothèse où ces élèves méritent sanctions, existe-t-il des dispositions juridiques qui peuvent fonder ces sanctions ?
En raison du vide législatif, ces élèves ne peuvent pas être sanctionnés sur le plan juridique. Pour ma part, j’estime que ces élèves n’ont pas réalisé et publié ces actes dans le but d’offenser la morale publique. Je tiens à relever ici que nous sommes en face des enfants qui, dans une certaine forme d’euphorie narcissique, ont reproduit des actes pervers dont la diffusion sur les réseaux sociaux et sur plusieurs autres sites internet, n’a quasiment plus de limite, et ce pour tous les âges. Je pourrais également douter que les acteurs ont volontairement consenti à se faire filmer et publier par la suite. Cependant je pense qu’une personne mal intentionnée, probablement motivée par la seule volonté de mettre en évidence un nième scandale à caractère sexuel, a mis en évidence cette vidéo sur le net. Et dans l’angle de ma vision, s’il faut parler de sanction juridique, la personne qui a assuré la publicité de cette vidéo est celle qui devrait être sanctionnée.
Avocat de profession, Me Tony Mwaba, ministre de l’EPST, a dit avoir émis le souhait d’exclure ces élèves du système scolaire RD-congolais. Une telle prise de position favorise-t-elle l’encadrement de ces jeunes?
En toute humilité, je pense que chaque fois que des décisions sont prises sous émotion, et surtout quand cela concerne les enfants, nous ne parvenons pas à mieux cerner le problème pour y remédier si pas une fois pour toute, à long terme. Et sauf erreur de ma part, Monsieur le ministre est revenu sur son souhait, après une réflexion plus approfondie. La convention internationale des droits de l’enfant reconnait à chaque enfant, entre autres, le droit d’aller à l’école, le droit d’être protégé contre toutes les formes de discrimination, le droit d’être protégé de la violence, de la maltraitance et de toute forme d’abus et d’exploitation. Et donc, exclure des enfants du système scolaire de leur pays, c’est consacrer la délinquance pour ces enfants. Après des tels actes, ces enfants devraient avoir une attention plus soutenue afin de les accompagner dans leur socialisation car, à travers eux, nous pouvons mieux comprendre les axes de notre système éducatif qu’il faudrait impérativement repenser pour l’avenir de notre Nation.
Juridiquement, cette prise de position peut-elle s’expliquer?
Cette prise de position du ministre de l’EPST à l’égard de ces élèves est inconstitutionnelle. Juridiquement, elle s’écarte des prescrits des textes en vigueur. En effet, l’article 43 de la Constitution de la RD-Congo dispose: «toute personne a droit à l’éducation scolaire». La même disposition est réaffirmée par l’article 38 de la Loi portant protection de l’enfant du 10 janvier 2009. Et, l’article 6 alinéa 1 de la même Loi, stipule: «l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une préoccupation primordiale dans toutes les décisions et mesures prises à son égard». Je ne vois donc pas le soubassement juridique qui peut permettre à un ministre d’exclure du système éducatif, un enfant de ce pays. Et je pense également que l’établissement scolaire d’où sont issus ces enfants, qui a publié notoirement leurs noms et les a renvoyés, n’a pas assumé son rôle de protecteur des enfants contre la violence, la maltraitance et toute forme d’abus et d’exploitation.
Sous d’autres cieux, les enfants sont protégés des contenus pornographiques pendant qu’en RD-Congo rien ne semble être fait en ce sens. Que pouvez-vous préconiser quant à ce?
Cette question inquiète tout le monde. Toutes les sociétés du monde ont constamment besoin, pour des raisons de sécurité, de développement et de justice, d’adapter leurs codes de Loi aux défis auxquels elles font face. C’est un besoin réel et naturel que toute société ressent à un moment donné de son histoire. Il existe plusieurs cadres de règlementation de la vie en société. Autant qu’il faudrait enrichir notre cadre légal sur la protection des enfants des contenus pornographiques, autant il est de la responsabilité de tous de veiller à ce que les contenus pornographiques ne soient pas à la portée des enfants. Cela est bien plus compliqué de nos jours avec les Nouvelles technologies de l’information et de la communication, mais il est urgent que le système éducatif de notre pays intègre dans son contenu, une éducation aux médias, car les moyens légaux à eux seuls ne peuvent règlementer cette question. Ceci permettra aux enfants d’appréhender les moyens de communications avec pertinence, surtout quand il s’agit des réseaux sociaux et du large contenu qui y est proposé. Au-delà de protéger les enfants des contenus pornographiques, il y a également la nécessité d’apprendre aux enfants à se protéger par eux-mêmes des obscénités du corps et du langage que l’on retrouve sur les réseaux sociaux, lesquelles peuvent être très nuisibles à l’épanouissement harmonieux de leur être.
Je préconise également la mise en place d’un service ou si vous voulez une structure d’experts en informatique, pour gérer tous les contenus à caractère pornographique se trouvant dans l’espace Internet RD-congolais, en créant des garde-fous numériques (des algorithmes), pour éviter à ce que de telles images tombent entre les mains des enfants mineurs.
Avec l’envahissement grandissant des sextapes dans l’espace numérique RD-congolais, n’est-il pas déjà l’heure de songer à la réglementation du secteur numérique pour punir les auteurs de ces vidéos?
Vous l’avez dit ! Il est plus qu’urgent que les vides législatifs et règlementaires que l’on peut constater dans le secteur numérique de notre pays soient comblés. Si pour certains, se mettre en évidence à travers une sextape relève tout simplement du narcissisme, il faut signaler qu’un grand nombre de ces images et vidéos à caractère sexuel et intime sont le fruit de la cybercriminalité, des différentes formes de chantages sur la toile et des revanches pornographiques après une idylle. Plus personne n’est à l’abri d’un tel piège car le plus souvent, il est tendu par les personnes avec qui nous avons une confortable situation de confiance. Punir les auteurs de ces vidéos qui, le plus souvent deviennent virales après leur publication, c’est également utiliser la technologie pour empêcher le téléchargement et la transmission de ce genre de contenu pornographique. Ce serait à mon sens un pas important pour mettre fin petit à petit à l’ingestion de la pornographie, particulièrement chez les jeunes adolescents.
Quand une vidéo sextape se trouve sur la place publique. Qui est coupable? Est-ce les acteurs dans la vidéo ou l’auteur de la publication?
Une sextape peut se définir comme étant une vidéo, à caractère érotique ou pornographique destinée à un usage privé. Il faut également relever le fait qu’il s’agit d’une vidéo d’amateur, réalisée le plus souvent avec un simple smartphone. Je pense que le coupable ne peut être que celui qui assure la publicité de ce contenu. Selon que l’on peut tomber sur des sextapes réalisées par des célébrités du sport, du cinéma, de la mode… Un grand nombre de ce genre de contenus pornographiques est rendu public par des personnes autres que celles qui sont mises en évidence. Ainsi donc, si l’acteur est également l’auteur de la publication, il n’y a aucun doute qu’il est bel et bien le coupable. Mais dans l’occurrence des élèves qui ont été mis en évidence dans cette sextape, je suis d’avis que le coupable est la personne qui a assuré la prise des images ainsi que la publication.
Propos recueillis par Plamedie BALAK’O
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